Combats qui me touchent

Le harcèlement scolaire ou le silence d’une souffrance

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Stop au « chut »… avant qu’il ne soit trop tard…

En regardant l’émission « Infrarouge« , j’ai fait un bond de 25 ans en arrière. Je me suis reconnue dans certains de ces ados.

Mathéo était roux. Emeline était trop ronde. Un autre ado bégayait. Un autre est homosexuel. Ils ont tous été victimes de harcèlement physique et / ou moral (de toute façon les deux sont touchés au bout d’un moment. Quand le mental est touché, le corps « parle » et inversement, comme dans beaucoup de situations. Tout ce qui n’est pas dit, le corps emmagasine…) en milieu scolaire pour des raisons à la con. Le petit Mathéo avait 13 ans quand il n’a plus réussi à supporter ce qu’il endurait et s’est suicidé en se pendant. Pour résumer, il est mort parce qu’il était roux… 😦 

La première chose que je me suis dite en voyant ces témoignages d’enfants et de parents, c’est que les choses étaient restées au même stade qu’il y a 20 ans, quand j’étais à leur place. 

C’était un harcèlement moral qui aura duré 4 ans. Toutes mes années collège en gros. Un groupe de 6 garçons dont un « leader » qui entraînait les autres, qui eux, voulaient appartenir sans doute à un groupe et s’intégrer, alors ils suivaient. Ils se sentaient fort en groupe, çà c’est sûr… Des coups dans ma chaise quand j’étais assise en cours, des mots qui circulaient remplis de moqueries, de remarques qui font mal, parce qu’on les croit… ben oui, ils sont tellement nombreux à dire la même chose, c’est que tout doit être vrai… Des bousculades dans les couloirs, des mots balancés à travers les escaliers « tu es un monstre », « tu as été envoyé par Dieu pour faire peur aux gens » « tu es moche » et j’en passe, ce n’est que le plus léger et surtout juste des mots, parce qu’il y avait ces phrases qui me réduisaient, qui me rendaient pire qu’une merde. 

J’allais au collège la peur au ventre parce que je me demandais ce qu’ils me réservaient, il m’arrivait de faire des détours parce que je les voyais au loin ou se rapprocher de moi et que je n’avais pas envie de me retrouver face à eux, de bon matin, déjà, avant même d’avoir atteint le collège. A partir de la 5ème, tout s’est amplifié, il y avait des gestes obscènes derrière les grandes tables de sciences, le prof ne pouvait pas voir ce qu’ils faisaient, parce que la partie de devant était fermée, du coup il s’en passait et j’étais là à me sentir souillée, avec l’envie de vomir. Ils prenaient de l’assurance pendant que moi je me terrais dans mon ptit coin et plus ils voyaient que je m’affaiblissais et ne bronchais à rien, de peur que ce soit encore pire et qu’ils aillent plus loin, je me la fermais. Un cercle vicieux qui m’a pourri de l’intérieur. Je rentrais le soir chez moi, mes parents me demandaient si la journée s’était bien passée, je répondais oui. Je ne voulais rien dire, j’avais honte et je me sentais faible de ne pas riposter, mais je n’avais ni la force ni l’envie, au bout d’un moment, on a envie d’être une petite souris, de ne plus se faire entendre, de ne plus être vue. Je n’avais personne à qui en parler de toute façon, pas d’amis. Qui veut être ami(e) avec une ado renfermée comme j’étais, que ce groupe de 6 avait pris comme bouc émissaire. Il y avait les toilettes à l’extérieur et le hangar à vélo, je passais mes pauses dans les toilettes pendant un temps, puis ressortais et me réfugiais derrière le hangar, je comptais le nombre de vélos comme pour penser à autre chose, parce que j’avais peur qu’ils viennent me pourrir la vie même dans mon coin secret. Je regardais l’extérieur de l’établissement, j’avais ce besoin de liberté et je pleurais. Ce que je ressentais n’aura jamais de mots assez forts, je sais juste que c’est là que j’ai commencé à me dévaloriser, à me diminuer, à me sentir nulle et merdique. Le collège était ma prison. Je rentrais le soir à la maison et là c’était ma liberté, même si en arrière plan, je n’oubliais rien de ce qui s’était passé dans la journée, loin de là. Chaque soir, je me couchais avec la boule au ventre à l’idée d’aller en classe et je me réveillais dans le même état. Un peu plus mal chaque jour. Un peu plus mauvaise en cours, aussi, mais qui s’est préoccupé des raisons pour lesquelles mes résultats descendaient autant. Les profs ne voyaient rien ou ne voulaient rien voir et mes parents, je les ai protégés de çà du mieux que j’ai pu. Ils l’ont su des années plus tard, après ma 1ère année passée dans l’anorexie. Presque 8 ans après le début de cet enfer.

En 4ème, le cercle s’est refermé davantage encore, je n’étais plus rien. Je ne vivais plus tant que j’étais au collège et retrouvais mon air quand j’en sortais, quand je savais que mon chemin du retour me séparait d’eux. Je ne compterai pas le nombre de fois où j’ai pleuré durant ce trajet là, ni combien de fois je me suis retournée pour voir s’ils n’étaient pas derrière moi. Il n’y a jamais eu de coups physiques, que des mots… qui  m’ont ruinés moralement. Je me suis révoltée une seule fois, j’ai craqué une seule fois devant eux. En 3 ans, c’était la 1ère fois que je leur répondais. J’étais à bout, tout simplement. C’était le jour de mon anniversaire, mon frère avait été hospitalisé pour une opération de l’oeil, il avait fait un oedème de la trachée, avait été transféré de nouveau où il avait été opéré à sa naissance, pour qu’il soit surveillé par le chirurgien qui le suivait depuis là. A 2h de voiture de chez nous. Il était en réanimation sous respirateur, parce qu’il ne pouvait plus respirer seul du haut de ses 6 ans. J’étais angoissée, triste et je recevais en pleine poire leurs propos aussi merdiques qu’eux. La prof s’est absentée, je me suis levée, j’ai éclaté en sanglots en disant que j’avais juste envie d’une journée de répit parce que c’était mon anniversaire et que mon frère était à l’hôpital, que j’avais besoin d’air et de liberté. Je ne demandais que ce jour là…. J’ai réussi à l’obtenir, pour que çà recommence plus violemment le lendemain, alors je me suis jurée de la boucler pour toujours. Il m’a fallu des années pour comprendre qu’il fallait parler si je ne voulais pas étouffer à l’intérieur de moi. C’est la seule fois où je leur ai montré qu’ils m’atteignaient et la dernière. Je me suis mise en échec et ne voulais plus aller à l’école. Dans ma tête, je me voyais inventer n’importe quoi pour ne surtout plus y aller. Tout dire, sauf la vérité pour que ce ne soit pas pire. Tout s’est transformé en phobie, j’ai tenu, parce qu’il y avait mon frère qui avait besoin de moi et mes parents avaient des problèmes bien plus graves que çà. Alors je n’ai rien dit… la vie a continuée, toujours de la même façon et dans ces cas là, c’est la répétition et la régularité, 5 jours sur 7, pendant 4 ans qui usent à force. 

Je n’ai jamais été réparée. En faisant mon parcours « psychologique », la psy a vu une cassure à 11 ans, âge auquel le trouble borderline s’est installé insidieusement, à avoir des comportements qui n’étaient plus adéquats à une scolarité « normale », une souffrance muette au fond de moi tellement tue que mon subconscient, lui, était très actif, provoquant des désordres, une image plus que négative de moi, une absence de sociabilisation vue que je me terrais. 

On m’a dit parfois « mais c’est passé, oublie tout çà et puis tu sais les jeunes entre eux…. » NON ! déjà on n’oublie pas un calvaire de 4 ans à cet âge où on est censés se construire, ils m’ont volé mon adolescence, parce que même s’ils n’étaient plus là, quand j’étais au lycée, il faut arriver à refaire confiance, prendre l’habitude d’aller vers les autres sans se dire qu’ils vont nous pourrir, nous charrier au point de dégringoler peut-être dans les escaliers et je n’ai pas réussi, j’étais très peu entourée d’amis. Les angoisses restent, elles. Elles se manifestent juste autrement, c’est tout. Alors non, ce n’est pas une raison, d’être jeunes et en groupe et si les profs avaient ouverts un peu les yeux et réagi, moi comme tous ces jeunes que j’ai vus ce soir, on aurait pu éviter la destruction peut-être. Limiter les dégâts au moins. Eviter des suicides. 25 ans après, on vit les mêmes choses et je ne le tolère pas… ma chance à moi, c’est que les réseaux sociaux n’existaient pas, du coup j’étais tranquille le soir, les w-e et pendant les vacances. J’avais cette chance là qu’on ne puisse pas m’atteindre autrement que directement et physiquement. Après oui, on n’y pense pas quotidiennement, mais il suffit d’un peu de violence ou d’une émission comme celle de ce soir pour réaliser que rien n’est fini, qu’on vit juste avec, mais que c’est encore là au fond de soi.

S’il y a des ados qui passent par là et que vous êtes dans ce cas, parlez. Cà ne pourra jamais être pire que ce qu’ils nous font vivre une fois que l’enfer a débuté. Faites le discrètement à une personne de confiance, n’ayez pas honte, parce que vous êtes victimes avant d’être coupables. Et ne laissez personne vous attaquer sur la personne que vous êtes, parce que personne ne le mérite et personne n’a ce droit de foutre des coups autant verbalement que physiquement à d’autres. Combien il en faudra encore des Mathéo pour qu’on réalise qu’il y a une véritable souffrance derrière ces mots ?? 

Si vous avez des copains, des copines que vous voyez se faire maltraiter quelqu’en soit la façon, c’est pareil, allez en parler discrètement à une personne qui saura vous écouter et qui pourra agir sans faire de vagues pour ne pas provoquer plus de dégâts, ce n’est pas le but non plus, même s’il faut sortir du silence dans tous les cas. 

Si vous êtes parents, veillez aux moindres changements. On se renferme, on rit moins, on a moins envie de faire de choses, il y a des angoisses qui surgissent, une tristesse qui apparaît, on ne parle plus ou moins, les amis se font rares. Ce sont des attitudes qui peuvent alerter. N’hésitez pas à en parler. Je me suis jurée que mes nièces ne subiraient pas la même chose. Que le jour où elles seraient capables de comprendre, je leur dirais que si on leur fait du mal, qu’elles n’hésitent pas à en parler. Je n’ai pas envie qu’elles vivent dans l’angoisse que çà puisse arriver, mais je n’ai pas envie de les savoir aussi seules que je l’ai été 😦 …. 

Cà laisse des traces à vie et on n’oublie pas. Il m’arrive de croiser des jeunes dans la rue et de me protéger en augmentant le son de mon mp3 si jamais je venais à me prendre une remarque dans la tronche. C’est comme un automatisme qui s’est créé et pourtant, mon calvaire avec ce groupe s’est arrêté il y a 21 ans… Chez moi c’était le visage qui était pris pour cible, d’autres c’est le corps, d’autres ce sont leur orientation sexuelle et quelque soit la raison, çà ne devrait plus arriver.

Ne vous laissez pas faire, ne laissez personne vous atteindre et parlez en. Lutter contre le harcèlement scolaire c’est aussi oser ouvrir la bouche, même si la démarche est difficile et angoissante pour la suite. Comme dit, rien ne pourra être pire que ce qui est déjà vécu… Et ne faites pas comme moi… Ne minimisez pas ce qui arrive, quand on réalise que quelque chose ne tourne pas rond dans ce genre de comportements, c’est qu’il est déjà bien trop tard.

Je n’aime pas Keen V, mais il a fait une très belle chanson sur le sujet et je la comprends cette petite Emilie (c’est tiré d’une histoire vraie). La seule chose qui m’a maintenue à la surface a été ma famille, elle était mon oxygène au milieu de ce chaos… Patrick Bruel a lui aussi fait une très belle chanson sur le sujet et je trouve bien qu’ils aient osé le faire, l’un comme l’autre.

« Petite Emilie » ❤

« Maux d’enfants »