Blablas de toutes sortes

La différence

En début d’année dernière, est venue l’heure de faire un choix d’activité pour la rentrée. J’hésitais entre refaire du Qi Gong qui me passionne ou sortir de ma zone de confort en me lançant dans le théâtre. En oubliant certainement que cela faisait 1 an que j’étais là, qu’aucune relation sociale n’avait pu se créer avec notre super covid qui colle à nos basques, que je n’avais pas réussi à me réintégrer professionnellement et que j’étais dans une ville pour laquelle on ne peut pas dire que j’ai un amour inconditionnel. Mes repères perdus en quittant Marseille étaient bien suffisants à gérer, je ne possédais pas de réel confort pour me sentir déjà bien. Alors avec du recul, je me dis que sortir de quelque chose que je ne possédais déjà pas, relevait d’un sacré défi personnel. Mais au moment des inscriptions, sortir de ma zone de confort était ma priorité pour me secouer les puces. L’intention était de travailler sur ma timidité, mon manque de confiance, arriver à poser délicatement ma voix qui me complexe et part en cacahuètes dès que je suis un peu stressée (autant dire très souvent quand je suis en présence des gens et c’est encore pire depuis le 1er confinement puisque je vis le syndrome de la cabane).

La sensation que je sortais de quelque chose qui n’existait déjà pas pour moi, ma pseudo zone de confort donc, à vouloir casser malgré tout, est apparue après 3 cours de 2h de théâtre, où je suis ressortie en larmes au dernier cours.

Le groupe était sympa dans l’ensemble, je me sentais assez à l’aise avec les 8 autres élèves et la prof, mais ce n’était pas mon élément. Cette impression de faire tache au milieu des autres. Cette angoisse de montrer celle que j’étais. Celle pas assez bien, celle qui se compare aux autres qui sont meilleurs en oubliant qu’ils avaient déjà fait du théâtre, celle qui parle avec sa voix menue et à qui on dit de parler plus fort alors qu’elle ne peut pas parce que ses cordes vocales sont ce qu’elles sont.

Et puis il y a eu ce texte à travailler. A me souvenir, à mémoriser, à mettre une intention que je ne pouvais pas mettre parce que le sujet me touchait trop même si c’était un pauvre canard qui se suicidait, les mots « égoïste », « il n’a pensé qu’à lui, il aurait pu penser à nous », « je suis en colère contre lui, il nous a laissé » etc… me renvoyait trop de choses dans la figure. A mes propres tentatives de suicide, loin d’être égoïste pourtant mais terriblement en souffrance. Aux suicides d’ami.e.s que je n’avais pas trouvé égoïstes non plus. Bref, montrer qu’on est en colère contre quelqu’un alors qu’on a envie d’avoir de la compassion plutôt, autant dire que l’exercice comptait double et surtout le sujet me retournait les tripes à chaque cours. Je ne suis toujours pas au top de ma forme mentalement et durant ces 2 dernières années, j’ai eu envie de m’éteindre plus d’une fois. Alors le sujet est frais en moi. Et je ne me voyais pas parler de ça à la prof. Le théâtre est sûrement fait pour dépasser ses limites, ses angoisses les plus profondes et faire taire les choses sensibles en nous quel que soit le sujet des textes abordés. J’étais là pour rire de mon côté plutôt et je sais que sans en parler directement, on recherchait tous ce côté là. Le rire. Pas cette chose glaciale qu’on pouvait ressentir à travers les murs de notre salle parce que même si formulé avec des pauvres canards, le sujet était là quand même, je ne pouvais pas y faire abstraction et ne pouvais pas « jouer » avec. Les difficultés de concentration et de mémorisation, ce thème qu’on allait aborder jusqu’aux vacances de Noël alors qu’on était à peine fin septembre, mon corps qui ne se mouvait pas au rythme qu’il aurait fallu pour suivre correctement, ont eu raison de moi. J’ai abandonné. Mais j’avais essayé néanmoins, c’était ma fierté.

J’ai juste prévenu la responsable de l’association de théâtre par un mail. J’étais bien loin de me sentir assez proche de la prof pour lui en parler directement. Et un autre élève avait aussi abandonné à la séance précédente sans lui donner de raison précise. La prof en sachant mon abandon m’a envoyé un long message en me disant qu’elle voudrait bien parler avec moi de mes difficultés, qu’elle était sûre qu’il me fallait des séances de plus pour ne pas regretter. Qu’elle pouvait me rediriger vers un autre cours « plus adapté ». Elle se culpabilisait parce que j’étais la seconde élève à partir de son cours. Alors j’ai répondu brièvement que je lui expliquerais mes raisons, mais que ce n’était pas forcément sa façon de faire ses cours qui était à remettre en question (à part le choix joyeux de ses textes pour débuter peut-être). Ce n’était pas de sa faute, c’était la mienne. Je comptais réellement lui expliquer, sans forcément réintégrer le cours mais au moins pour qu’elle connaisse mes raisons. Et puis j’ai réécouté le message plusieurs fois. Et ce que j’ai entendu à travers les lignes m’a mise encore plus mal à l’aise. Le mot « différence » revenait très souvent sous différents aspects. Sur le moment je m’étais dit qu’effectivement nous étions tous différents, avec nos caractères, nos tempéraments, nos histoires. Comme tout être vivant qui se respecte, en gros, à mes yeux. Mais ses paroles racontaient une autre différence. Surtout quand elle a dit qu’elle avait relevé quelque chose chez moi qui n’était pas comme chez les autres élèves, mais je ressentais dans sa façon de le dire, que c’était ce genre de différence qui fait rencontrer des difficultés. Je n’ai jamais su ce qu’elle avait relevé chez moi en réalité. J’étais différente mais cela sonnait de manière péjorative. Mon corps n’est pas simple à mouvoir comme je le souhaite, ma concentration est merdique, ma mémoire récente ressemble à celle d’un poisson rouge, je suis timide et devient rouge crabe quand je parle au milieu d’autres personnes. C’est ça ma différence ? De façon aussi péjorative que je le ressentais à travers son débit sur mon répondeur ? J’ai eu mal au coeur, sans savoir réellement expliquer ce que je ressentais. Est-ce qu’en parallèle, on avait pu voir quelque chose de beau en moi aussi dans ce groupe ? Est-ce que j’aurais fait partie intégrante de cette troupe malgré ma fameuse différence, pas si différente que tout un chacun, à mes yeux ? Je ne le saurai jamais, je n’ai pas voulu expliquer mes raisons, j’ai laissé tomber. Elle était rassurée de savoir que ce n’était pas de sa faute, c’était ce qui comptait. Me concernant je savais très bien que je ne souhaitais pas reprendre. Je l’ai laissée avec son « j’ai l’habitude de travailler avec des personnes qui sont différentes ».

On sera tou.te.s différent.e.s pour les autres et heureusement. Le souci c’est que depuis, quand on me croise dans la rue, je perds un peu plus mes moyens devant les gens en me disant « ils la voient cette fameuse différence ?? » « qu’est ce qu’on peut penser de moi finalement quand on me voit déambuler, quand on est plus ou moins en contact ». « Un être pas super à l’aise qu’on retrouve peut-être dans ma posture, ma façon de me tenir et de m’exprimer ». Une femme différente comme tous les communs des mortels ou différente dans un sens un peu plus moche à entendre et pas des plus valorisants ? J’ai perdu un peu plus confiance en celle que je suis.

Je suis moi dans tous les cas. Celle qui ramasse des pâquerettes dans le parc à côté en s’asseyant dans l’herbe sur sa petite serviette et qu’on dévisage en passant en se retournant encore après comme si j’étais une nana inadaptée. Mais je continuerai à être ce genre de personne.

Je suis moi avec mon tempérament introvertie mais le coeur rempli d’amour pour les autres. Je suis moi avec mon passé et ses souffrances. Je suis moi avec mon présent également avec ses douleurs et ses joies. Je suis moi tout court. Le jour où on m’a regardée bizarrement dans le parc sans que je sache pourquoi, je me suis dit que je ne laisserais plus personne me couper l’envie de faire quelque chose si cela me procure du plaisir. Quitte à ce qu’on perçoive de moi quelque chose de « différent ». Les gens aiment bien les étiquettes et se croient obligés de caser tout le monde dans l’une d’entre elles. De mon côté, je ne veux pas mettre d’étiquettes. Mon côté différent je l’emporte avec moi et on verra ce qu’on veut bien voir de moi quitte à juger, trouver bizarre, paraître louche ou autre.

Soyez vous-mêmes, soyez heureux du mieux possible, connaissez des petits et grands bonheurs et ne faites pas comme moi, vous comparer aux autres. Cela fera partie d’un autre post peut-être un jour…