J’ai souvent dit que je lisais beaucoup de choses dans un regard. Le bien comme le moins bien… Et bizarrement, ce que je perçois dans les yeux d’une personne finit par la définir de la même façon que ses yeux. Comme quoi ils ne mentent pas.
Ce matin, il fallait réapprovisionner mon semainier à la pharmacie. Une boîte à mon nom avec tout mon bordel en médicaments. Je suis tombée sur la personne à qui j’avais dû expliquer la semaine dernière, mes besoins actuels, la conservation de mes comprimés. Le responsable avait déjà donné son accord, donc il lui a confirmé que c’était bon. Et là, ce matin, c’était de nouveau elle. Quand elle m’a vue et compris qu’il fallait remplir toutes les cases pour 7 jours, la pauvre a changé de couleur… déjà qu’elle n’est pas forcément bien aimable, je l’ai achevée. Comme je connais mes boites par coeur et le dosage avec, je me suis récriée « mais je peux le faire seule ! je me mets dans un coin si çà ne vous dérange pas » ! Son regard qui, avant signifiait « han je vais me faire chi** à remplir le semainier, çà me saoule » s’est transformée en un sourire et des yeux pétillants qui voulaient dire « ouiiiii je suis débarrasséeeee de la corvéeeee !!!! ». Elle était ressuscitée. Je l’ai requinquée juste avec cette phrase.
Je me suis installée, ce n’est pas forcément un moment simple comme j’ai pu le constater. J’étais face à mes boites, à faire le même geste que j’avais fait cette nuit-là, le plus vite possible pour pouvoir les retirer des plaquettes et là, je le faisais de nouveau à la chaîne. Juste pour les mettre dans mon semainier, mais quand même, mon cerveau s’est rappelé du geste effectué… Et puis, moralement, c’est dur de laisser ma jolie boite plastifiée où est contenu tout mon traitement. Je suis ressortie mi-figue mi-raisin. La raison dit « tu fais bien comme çà », le coeur et la tête à l’envers disent « tu as vu ce regard, comme si ton geste continuait à te faire sentir comme un boulet, comme si ce n’était pas déjà assez compliqué comme çà… Et puis j’avais la sensation de laisser ma liberté derrière moi 😦 Je n’ai plus rien à part le semainier et panique parfois de ce vide médicamenteux, signe d’une possible liberté de tout arrêter sniff »
Ressortie les larmes aux yeux du coup, parce que j’avais déjà un petit moral, j’étais très douloureuse et je savais que ce serait pire après avoir fait mes courses. Priant pour ne pas tomber raide.. Mes courses se sont faites lentement, mais il n’y avait qu’une caisse ouverte et la file d’attente n’était pas anodine la vilaine… il s’est trouvé que j’étais au début, ouf. Avec une personne d’un certain âge derrière moi qui a commencé à parler avec moi. Complices de « la caisse ouvre ? N’ouvre pas ? » et puis elle papotait, elle avait un regard doux, plein d’empathie, je ne pouvais pas la laisser passer, parce qu’elle avait déjà autant d’articles que moi et surtout, je sentais que je flanchais. Mais elle ne m’en a pas tenu rigueur, par contre, elle a remarqué que j’avais un souci… toujours avec son regard doux, qui semblait sonder les gens autour d’elle et saisir les difficultés là où il y en avait. Devant elle entre autres…
Puis c’était mon tour, je lui avais dit que je me dépêcherais. Une autre femme est venue se plaindre du manque de caisses ouvertes. La caissière a expliquée les absences, les vacances, bref, qu’il fallait attendre… et en voyant çà, son réflexe légitime en travaillant là, elle a accéléré le mouvement et d’un coup, mon bras ne pouvait plus suivre tout çà. Mes courses s’entassaient et j’étais bien embêtée par son excès de zèle. Je lui ai dit « ben là pour le coup, c’est moi qui n’arrive plus à suivre ». Et ma grand-mère de derrière qui doucement prend une partie de mon sac, m’aide en silence à ranger les courses qui restent sur le tapis pendant que je paie vite. Toujours avec son sourire aimant, rempli d’empathie. Je l’ai remerciée je ne sais pas combien de fois, mais pour elle, c’était normal et rien. Pour moi c’était beaucoup, parce qu’elle avait vu que j’avais un souci déjà et elle avait entendu ma phrase qui voulait dire « hé, ralentissez un peu svp !! »
Et çà fait du bien de tomber sur ce genre de regard plein de chaleur humaine, une personne avec laquelle échanger des choses banales, comme si elle en avait besoin et à moi çà me faisait du bien de croiser ce regard là. Toutes les 2 en recherche de visages bienveillants je crois. Quand la sortie a été difficile, que j’ai l’impression de n’avoir été qu’un boulet, je repense aux autres regards croisés. Celui d’un enfant qui sourit, de cette dame là par exemple. Pour me rappeler que je n’ai pas juste vu de la merde dans la rue…. et parfois je rentre désabusée de ne pas avoir vu un seul de ce genre de regard là. Alors je me remémore ceux des jours avant. Celle-çi, de dame, me poursuivra un moment. Elle aurait pu être ma grand-mère et c’était elle qui s’occupait de mes articles, parce que je n’arrivais plus à suivre la vitesse à laquelle elle envoyait les articles… foutu corps….
On dit que les yeux sont le reflet de l’âme. J’imagine la sienne magnifique. Elle fait partie de ces personnes dont le regard et l’expression me saisissent et rendent vivante. Peut-être que j’ai été la seule à qui elle aura adressé quelques mots, comme c’est souvent le cas pour moi.
C’est là que je me rends compte que les mots « s’accrocher à tout ce qui passe » prend tout son sens. Même quand il s’agit juste d’un regard que beaucoup d’autres trouveront banal, et qui pour moi aura une autre dimension.