Combats qui me touchent

Cette salissure du fond des tripes

Ce sera le plus dur post que j’aurai écrit sur mon blog. Tout remonte à la surface avec « l’actualité sexuelle » si dégradante du moment et j’étouffe à travers mes propres souvenirs.

En 2001, je suis tombée sur le premier qui a pris mon corps pour un objet sexuel. J’étais dans l’anorexie depuis 4 ans mais je m’accrochais à mon bts que j’avais dû interrompre l’année précédente. Je pesais 40kgs, il pleuviotait, ne faisait pas bien chaud, portais un jeans, un col roulé et une polaire. En Novembre en Franche-Comté, dans un bois derrière chez mes parents où j’allais éliminer le peu de graisse que je possédais encore. Il y a un parcours de santé où des gens courent, font des exercices. Je marchais les écouteurs sur les oreilles comme à mon habitude. Les passages incessants d’un des coureurs auraient pu me faire peur, mais ce n’était pas encore l’époque où je prenais peur pour le moindre mouvement suspect même si ses regards insistants pouvaient me gêner. Puis je l’ai vu à l’un des exercices, voyais juste qu’il me parlait et en personne polie (ou conne ou naïve, je laisse le choix), je me suis dit qu’il avait peut-être besoin de l’heure ou d’aide. Au moment où j’ai vu qu’il baissait son pantalon pour se masturber, c’était déjà trop tard, il avait eu le temps de venir vers moi en me demandant de l’aider dans son activité sportive du dimanche…. les menaces verbales si je ne le touchais pas, son sexe dur contre mon bras, ma main dans la manche de ma polaire pour ne surtout pas entrer en contact avec lui d’une quelconque façon. Son impatience parce que je ne voulais pas, son regard tellement noir quand il me tirait un peu plus près de lui et surtout le fait que je n’arrive pas à me dégager de lui. Il y a eu ce moment où il m’a lâchée un peu et où j’ai eu le réflexe de reculer, sauf qu’un arbre et une de ses racines m’a fait trébucher, je me suis retrouvée dans la terre mouillée au milieu des feuilles de l’automne et lui sur moi pour finir son job. Son sexe dur contre mes parties intimes à travers mon jean, cette violence verbale et ses gestes qui me laissaient par terre sans pouvoir me dégager de son corps bien trop lourd pour moi, m’ont fait crier, la peur étant qu’il aille encore plus loin. Et il a eu ce qu’il a voulu, a éjaculé et lâché mon corps. Je suis rentrée en traversant tout le bois en diagonal, en pleurs, c’est mon père qui a pris l’initiative pour moi de m’emmener à la police pour un dépôt de plainte (si je m’étais trouvée seule à ce moment là, je n’aurais même rien dit). Je me revois dans ce bureau, avec ces 2 types qui posaient des questions, ils m’ont même ramenée sur les lieux parce que j’avais parlé d’éjaculation et voulaient voir si des prélèvements pouvaient être faits sur le sol. J’entends encore un des policiers dire « il faut la conduire aux urgences, elle est en état de choc » et moi qui ai répondu que je voulais qu’on termine juste ça très vite. Et puis il y a eu l’air gêné de l’un d’eux « on est obligés de demander comment vous étiez habillée parce que certaines femmes provoquent ce genre de choses »… et là ils m’ont perdue. Je m’étais changée parce que j’étais trempée et pleine de terre, mais la tenue était équivalente. Non je n’avais pas cherché à provoquer puisque c’était l’insinuation, parce que j’étais plutôt du style à me faire toute petite avec mon corps d’anorexique. Non je n’étais pas consentante. J’avais en plus dit non. On ne peut pas chercher à se dégager (me débattre étant un peu immense comme mot vu ma force du moment et mes gestes dans le vide) de l’emprise de quelqu’un tout en étant consentante, à moins d’être sado maso, ce que je suis loin d’être. On ne pouvait même pas me reprocher de ne pas avoir sorti ce foutu « non ». 16 ans après on se justifie encore sur les tenues qu’on porte de toute façon.

Ils m’ont montré des fichiers de types pour voir s’il était fiché. A chaque page que je tournais, j’avais peur de tomber sur ce regard qui m’avait tant marquée, moi qui suis attentive aux yeux en général. Je savais que je le reconnaîtrais grâce à ça d’ailleurs. J’avais eu le temps de voir sa sale gueule quand il était allongé sur moi pendant que j’étais en train de chercher à foutre le camp. Ces mêmes yeux qui m’ont poursuivie pendant des mois. J’ai eu le coup de grâce venant d’une personne qui était plus que proche de moi qui avait sûrement voulu dédramatiser cette salissure là, en disant en riant, en plein milieu du repas qu’en gros, leur fille plaisait aux hommes… A ce moment précis, j’ai su que je ne dirais plus rien sur ce que je ressentais, sur mes pensées qui allaient à ce corps que j’avais tant de mal à faire vivre déjà. A ce bout de viande que j’essayais d’éliminer depuis 4 ans. L’inverse de ce que je pensais, à savoir que je chuterais encore davantage dans l’anorexie est arrivé, je suis tombée dans la boulimie non vomitive. Je mangeais pour oublier et ce, jusqu’à ce que j’aie son visage qui s’efface un peu de ma mémoire, mais il revenait tout aussi vite, alors je ne m’arrêtais plus de me goinfrer. Je pleurais tout en me bourrant. La nourriture jusqu’en haut de la gorge parce qu’il n y avait plus de place. J’étouffais sous la nourriture, sous mon corps qui a repris 7kgs en 1 mois, dans ma tête qui envoyait des signaux de culpabilité. Au même moment, j’ai reçu un courrier du tribunal pour « donner suite à ma plainte » J’ai lu qu’un service d’aide aux victimes pouvait m’accueillir si je souhaitais en parler. Le courrier est parti à la poubelle, c’était trop tard, je ne voulais pas en parler non, pas pour me faire comprendre que je l’avais sûrement provoqué par une façon d’être et qu’en plus de ça, je plaisais aux hommes. Le chapitre s’est clos là. J’étais sans doute une petite nature qui se plaignait alors qu’elle aurait pu connaître pire. Il aurait pu me pénétrer, alors ce n’était rien tout ça. Et pourtant je me sentais encore plus détruite que ce que j’avais été capable de faire avec l’anorexie…

En 2006, j’ai été hospitalisée pour anorexie. J’étais arrivée dans un sale état 2 mois auparavant, mais je remontais et recommençais à manger et à surtout être moi-même. Et puis un jour, quelque chose a basculé. Dans ce genre d’endroits, c’est humain de créer des liens avec des personnes pour aider à faire passer ces caps pas forcément faciles, dans un lieu où les murs puent la souffrance mentale à tour de bras. On a aussi tou(te)s des gros bas que les autres patient(e)s essaient de faire oublier en rigolant de tout ou en écoutant la personne ou en comprenant pour passer par des choses identiques. Tour à tour confidente pour les un(e)s et oreille pour les autres, c’est un peu comme ça que se sont passées mes hospitalisations. Et il y a eu cet homme qui s’est insidieusement rapproché de moi, mais dont la présence ne me dérangeait pas. Du moins, pas encore. Et tant que j’étais lucide et consciente de ce que je faisais, c’est à dire dans la journée, parce que le soir, tout devient vite flou… Quand on est sous neuroleptique qui endort les neurones, le somnifère, les anxiolytiques, les antidépresseurs, le flou intervient vite. Un soir, j’ai vu sa tête apparaître dans l’encadrement de la porte, il me demandait s’il pouvait entrer pour parler avec moi. J’ai répondu que oui, surtout que j’étais avec une mamie dans la chambre, je ne risquais pas grand chose, j’avais juste oublié qu’elle était encore plus shootée que moi… quelques soirs se sont passés comme ça, on parlait tout simplement, il se confiait. Et puis un soir a été différent. Moi dans mon brouillard de la camisole chimique, lui bizarrement très éveillé. Son sexe sorti de son pantalon, sa main derrière ma tête pour me conduire là où il voulait m’emmener… il y a encore eu quelques soirs similaires, toujours dans mon brouillard, comme une marionnette à être là sans être là. Comme si les médicaments me faisaient sortir de l’état de conscience. Je faisais pitié avec mon pyjama et mes couvertures remontées jusqu’au cou à essayer de voir si la mamie ne voyait pas qu’il se passait quelque chose de bizarre et si elle ne pouvait pas appuyer sur cette foutue sonnette. Et un jour, la frontière a été dépassée encore davantage, il a tout massacré au passage, mes entrailles se sont déchirées comme s’il s’était insinué peu à peu dans cette chambre un peu plus chaque soir, sans que je réalise que tout dégénérait au moment où mon traitement faisait effet et que je n’étais plus digne de mon corps, comme si le respect envers lui n’existait plus. Les neurones s’éteignaient en même temps que mes cuisses essayaient de se refermer, comme dans une tentative de sortir du brouillard pour être protégée. La peur était venue s’installer entretemps évidemment, d’où le fait que je n’ai pas dit stop dès la 1ère fois où c’est arrivé, je suppose… Parce que je m’en veux et la culpabilité ne s’est jamais effacée. Je l’avais laissé entrer. Un peu comme un loup dans une bergerie et j’avais raté des épisodes entre le 1er soir et les 5-6 qui ont suivis. Je n’étais plus moi et lui faisait ressortir son côté prédateur et le camouflait très bien dans la journée, du coup c’est comme s’il y avait un décalage. J’en suis même arrivée à penser que je rêvais ou perdais vraiment conscience de tout une fois que j’avais pris mon traitement. C’est dire où mon esprit s’est envolé… Peut-être que j’étais consentante qui sait ?? mais c’était étrange parce que je me sentais plus mal au fil des jours et j’avais des sortes de crises d’angoisse en le voyant apparaître qui supposaient qu’on me fasse des injections de calmant pour arriver à me shooter une fois de plus… j’avais à peine digéré l’injection de l’après-midi que mon traitement du soir revenait et celui du coucher qui m’était fatal, parce qu’il me clouait et me laissait juste des bouts de ce qui se passait. Et sa tête dans l’encadrement de la porte. Le même schéma jusqu’au jour où une patiente s’est rendu compte qu’il y avait un souci inhabituel chez moi et j’ai fini par dire des bribes. Elle m’a répondu qu’il abusait de moi, qu’il fallait que j’en parle sinon il continuerait. Je lui ai parlé du décalage qu’il y avait entre mes moments de brouillards et ceux du jour et que c’était de ma faute si ça se passait de cette façon. Il aurait suffi de lui dire stop ou non (ce que je faisais comme je pouvais). J’étais faible, nulle et une merde, il ne fallait rien dire, j’étais coupable de tout ça. Le lendemain, j’ai été convoquée par le directeur de l’établissement. Cette patiente et un autre patient qui me connaissaient assez bien pour savoir que je n’étais pas cette pute qui donnait son corps à n’importe qui comme je le pensais moi-même pour le coup, avaient été lui parler. Il a parlé d’abus de faiblesse. De viol. Il m’a dit que je pouvais porter plainte contre lui. Je n’ai pas voulu, déjà parce qu’il avait une femme et des filles. Le patient s’est chargé de l’humilier et lui faire cracher le morceau, ça me suffisait, le reste n’aurait rien changé… Et surtout je me rappelais de ce qui s’était passé 5 ans auparavant… comme si ça n’avait pas pu me servir de leçon, j’étais décidemment juste une merde bien fragile. Je restais de longs moments sous l’eau bouillante comme pour me laver indéfiniment et surtout je ne mangeais de nouveau plus pour me sentir purifier même de l’intérieur. Il a fallu me perfuser pour me remettre debout, me réalimenter avec leurs boîtes à calories comme j’appelais les compléments. Je suis restée 1 mois supplémentaire hospitalisée… Fin du 2ème chapitre…  Enfin presque, parce qu’à chaque fois que je suis hospitalisée, je signale qu’il faut refermer à clé, la porte, derrière soi maintenant, sauf qu’autant un service psy peut le comprendre parce que les portes se ferment plus facilement, autant un autre service, je n’ose pas en parler et j’arrive dans des états d’angoisse impossibles à gérer pour moi. Je me souviens même d’un infirmier aux urgences psys qui essayait de me convaincre de rester la nuit dans leur service pour être protégée le temps qu’on trouve une solution, qui me disait que ça pourrait être sa collègue femme qui s’occuperait de moi si je préférais, parce que je m’évertuais à expliquer que je ne resterais pas entre leurs murs. Dans leurs services, il est inscrit qu’il y a eu un abus et que ça peut être une source d’angoisse supplémentaire pour moi et qu’il faut refermer la porte derrière soi pour me permettre d’être shootée tranquillement en gros, en cas de besoin, il vaut mieux m’enfermer à l’intérieur de la chambre, pour que je puisse perdre tout contrôle sans être aux aguets. Dit comme ça, c’est spécial… je fais soigner mon âme dans des endroits qui me l’ont aussi volée… c’est pour ça que parfois, je dis que le monde psychiatrique m’a autant sauvée que détruite.

Environ 3 mois après ce 2ème chapitre, je rencontrais S. Avec une méfiance digne d’un sarcophage blindé… Mais sa patience et ses mots ont permis d’avancer. Pendant 4 mois on a partagé notre lit, il savait ce qui était arrivé, grâce à lui j’ai pu me réapproprier mon corps un petit peu au moins, même si tout se bloquait en moi. Quand je lui disais non, c’était non et ça m’a sans doute sauvée de tomber sur lui. La vie a fait qu’on s’entendait bien mieux en étant juste amis alors après 4 mois, on était toujours bien là tous les deux, mais bien loin du sexe parce que ce n’était pas nous et ce que représentait notre relation. Pendant 9 ans, il a été mon meilleur ami, voire le grand frère que je n’avais pas eu. Celui qui ne salirait jamais la ptite Delph que j’étais devenue à ses yeux. Cette petite nénette qui essayait de recommencer à vivre doucement.

Certains rares hommes ont obtenu ma confiance, mais au final, je me rends compte qu’il y a une sacrée cassure en moi et je ne me suis jamais perçue comme victime. Déjà j’ai minimisé tout ça, mais en plus, je me suis toujours sentie coupable de ne pas avoir su assez dire non. Je n’ai pas forcément réalisé qu’un seul non aurait dû suffire pour arrêter… Peut-être que j’ai attiré tout ça. Sûrement, même. J’étais peut-être consentante tout en ayant ma conscience à côté de la plaque qui sait ou pas en état de dire non clairement, mais alors dans ce cas là, je n’aurais pas dû le laisser entrer dans cette chambre double. Puisque pour le 1er, je n’étais sous l’emprise d’aucun médicament qui aurait pu tromper ma vigilance, c’est que quelque chose en moi provoquait. Quoi je n’en sais rien, mais la société et la justice n’aident pas à ne pas se poser des questions de ce genre au moment où ça arrive et encore des années après, dès que certaines choses font remonter les souvenirs dans un immense fracas comme c’est le cas en ce moment pour moi. Les coupables, ils leur arrivent des bricoles tôt ou tard. J’aurais dû me fracasser la tête contre cet arbre qui m’a fait tomber la première fois et mon coeur affaibli par l’anorexie aurait dû lâcher pendant que le deuxième arrachait mon bas ventre et le peu de tripes que je possédais pour ne pas être fichue d’au moins dire que quelque chose clochait avec ce patient qui profitait de mon traitement pour finalement avoir eu un jour ce qu’il souhaitait sans doute depuis le début. Je méritais ça puisque j’étais coupable… 

Je n’oublierai rien, j’essaie juste de vivre avec ces salissures là qui parfois me reviennent en pleine figure dans des moments de vulnérabilité ou à force d’entendre des femmes passer aux aveux, je me dis que chaque histoire est importante pour rappeler que Non, c’est non. Que tant que je n’ai pas dit oui, je ne donne pas le droit d’accéder à mon corps d’une façon ou d’une autre. Que ma sensibilité et ma douceur ne sont pas synonymes de naïve et encore moins de nana facile qui ne dira rien, parce que finalement c’est ça le risque encore. Que les corps ne sont pas des objets sexuels. Qu’on peut être habillée de la tête aux pieds comme si on partait au Pôle Nord et tomber sur un connard. Qu’il faut arrêter avec les phrases du style « tu portais une mini jupe, ne te plains pas », ça ne veut rien dire, à part passer pour le même connard qui salit. C’était mon histoire de porcs. Qui n’inclut évidemment pas les corps baladeurs du métro ou du bus, les rapprochements douteux dans les mêmes endroits, sinon il y en aurait pour 1h à encore écrire sauf que maintenant, mon corps dégage plus vite que son ombre dès qu’il sent une menace de toutes sortes, autant que c’est possible de le faire. Il a tendance à se casser même devant des hommes qui ne me feraient pas de mal, c’est le souci par contre… mais il vaut mieux être prudente… Je crois que j’ai besoin d’aide pour me réparer encore… Mais je croyais être réparée…