
Dix jours sont passés déjà (ou seulement). J’ai eu besoin de m’éloigner de mon blog, parce que j’en étais arrivée à me culpabiliser de ne pas avoir de mots exprimant ce que je ressentais et incapable d’apporter un soutien quelconque au travers de mes mots, aussi minimes qu’ils aient été. Au lieu de ça, c’était le silence, la souffrance intérieure, le mutisme, les pleurs, la peur là, les questions où j’entendais « faut pas leur montrer notre terreur ». Je m’en voulais presque d’être aussi terrifiée de ce que je voyais dans les actualités du coup, ne comprenant pas pourquoi tout prenait de telles proportions. Mais j’avais aussi peur de sortir, même si on est bien loin de Paris.
Et puis il a fallu sortir. Vendredi. Une semaine que je n’avais vu personne, à part Happy. Le 13 novembre, ma meilleure amie était venue pour une soirée filles où on papote de tout (surtout de mecs ^^), de nos vies, de tout ce qui ressemble à la vie. On riait. J’entendais bien mon portable qui m’indiquait que des messages sur messenger arrivaient, mais par respect, je n’ai pas regardé (et j’ai bien fait. C’était la 1ère soirée où je me sentais sereine et la dernière où j’ai trouvé un peu de paix en moi, alors c’était précieux). A 2h du mat, elle est partie, je me rappelle avoir fermé la porte le sourire aux lèvres, en la taquinant sur celui qui lui fait battre son ptit coeur. Puis j’ai rallumé mon pc et là c’était la mort après la vie. On avait passé la soirée à rire pendant qu’ils se faisaient massacrer. J’ai perdu mon sourire en 2ndes, aussi vite qu’eux ont été tués.
La suite est un mélange de sentiments. Colère, tristesse, empathie envers les familles, pensées pour les blessés, l’incompréhension devant de tels gestes barbares, les amalgames que je commençais à lire et qui me mettaient hors de moi d’où mon post précédent d’ailleurs.
Je suis donc sortie une semaine plus tard. Ma 1ère sortie, pas forcément seulement à cause de ça, mais aussi parce que je suis très douloureuse ces temps-çi et me retrouve souvent clouée. L’angoisse de me retrouver avec du monde alors que c’est déjà ma hantise en temps normal, était forte. Arrivée dans le supermarché, quelqu’un m’a bousculée sans faire exprès et en présentant ses excuses, ce qui est rare, il faut bien le dire. Mais évidemment, vu le contexte, je me suis retrouvée en pleine crise de spasmophilie à respirer dans le petit sachet qui ne me quitte jamais, discrètement dans un coin du magasin. Je voyais les gens tournoyer autour de moi et là, deux sentiments se sont mis en place.
D’une part, comme une subite affection pour toutes les personnes qui étaient avec moi au même endroit. Je nous imaginais lutter contre des terroristes, ensemble. Chaque personne que je voyais, était à mes yeux, susceptible d’avoir été au Bataclan une semaine avant. Je les imaginais morts pour rien comme eux. J’avais envie de serrer tous ces gens dans mes bras pour leur dire qu’il fallait qu’on se batte vraiment ensemble, pour Paris, pour notre Pays. Que nous, on était pas morts contrairement à eux. Et qu’il fallait résister à la terreur (même si j’avais l’impression d’être seule à la ressentir pour le coup)
D’autre part, il y avait aussi la menace. Chaque visage qui me mettait le doute était un danger potentiel et je fuyais les rayons. Certaines pensées me revenaient en tête de ce que j’avais vu dans les médias et chaque bruit me faisait sursauter, annonçant le pire à venir. A peine remise de la crise, je me voyais finir là avec tous ces gens (l’angoisse à ce stade ne rend pas forcément très rationnelle…)
Je suis arrivée enfin à la caisse tant bien que mal. Derrière moi il y avait un homme de mon âge environ, qui m’a dit quelque chose à propos d’un article qui avait foutu le camp du tapis. Je me suis sentie agresser, dans un premier temps « qu’est ce qu’il me voulait ce type » parce que je n’avais pas entendu ce qu’il disait et que je me sentais devenir parano, je le voyais en terroriste …. Et puis il a répété en souriant avec un regard rempli de douceur. On a été amenés à échanger une nouvelle fois et c’est là que tout s’est débloqué dans ma tête. Tout a fait surface. Ce que je n’arrivais pas à exprimer arrivait là au mauvais moment, mais là quand même.
Je suis toujours attentive au regard des personnes que je croise. Et le sien m’a subitement fait craquer nerveusement. Il manquait peu pour que j’aille vers lui et que je m’écroule dans ses bras, en lui disant « serrez moi fort, prouvez moi que je suis bien vivante moralement encore, je me sens trop éteinte, je n’en peux plus de ce que je ressens et vois depuis une semaine ». Evidemment que je suis restée à ma place, à ranger mes courses. Je me suis dépêchée de rentrer, me suis arrêtée pour donner une pièce au monsieur musulman d’un certain âge qui se fait écraser, assis dans son coin, à chaque fois. C’est mon rituel depuis 3-4 fois que je le vois. Et son regard à lui aussi m’a troublée. J’y lisais à la fois la détresse de sa situation, en me demandant s’il était au courant de tout ce qui arrivait, s’il avait conscience de ce qui s’était déroulé une semaine avant. Et la gratitude que je lui montre que je l’avais vu, camouflé dans son coin.
Deux regards et mes mots qui ont pu sortir. J’ai serré ma Happy très fort pour avoir un peu de sa chaleur et réalisé que le fait de n’avoir vu personne durant une semaine m’avait fait souffrir à un tel point… J’avais entendu ma famille, mais physiquement qu’est ce que j’étais seule, impuissante, écrasée par quelque chose d’encore plus cruel que ce que je pensais, au milieu de l’horreur, de la terreur, de l’incertitude de l’avenir, des questions désormais sans réponses. A l’heure actuelle, je ne sais pas où j’en suis de ce que je ressens. Une chose est sûre, je ne fais pas partie des personnes qui disent ne pas avoir peur. J’ai un rôle plus passif qu’actif, dans le sens où je ne suis pas capable de sortir la tête haute, de vivre comme si rien ne s’était passé. Et encore moins rire. Mais on avance chacun à sa façon. Le trouble borderline fait des ravages en moi, mélangeant réalité et fiction dans mes pensées parfois bien discordantes. S’il est plus puissant c’est que je n’arrive pas encore à bien séparer mes émotions, à retourner la colère envers moi à défaut de pouvoir la cracher vraiment. Mais au moins je parle…. Grâce à ce regard qui m’a fait réaliser le fond de mes pensées qui s’étaient camouflées en moi. Peut-être pour me protéger le temps d’être capable d’assumer…
Entourez vous, c’est le seul conseil que j’arrive à donner, parce que je me suis aperçue que l’isolement ne m’avait pas arrangée dans l’histoire. Que j’aurais sûrement eu besoin de chaleur humaine pour me sentir un peu en sécurité contre tout cet enfer et ne pas me sentir morte de l’intérieur… Comme si on avait éteint des bouts de celle que je suis.