
Eté 2012. Une cure de kétamine. Une chambre double. Une petite mamie dans le lit à côté, couchée, les draps montés jusqu’au cou, raccrochée à une perfusion.
J’ai eu peur de la déranger, je suis restée très discrète les premières heures, lui demandant juste parfois si elle avait besoin de quelque chose. Puis au premier repas, ses enfants sont arrivés, pour lui donner à manger. Bien sûr, difficile de ne pas entendre ce qui se dit à côté quand on est avec quelqu’un dans une chambre et que la personne a de la visite. Je trouvais sa famille un peu raide avec elle. Ils ne savaient pas encore ce qu’elle avait, elle était justement là pour qu’on lui fasse une batterie d’examens tout en tentant de la soulager. « Il faut que tu bouges, reste assise dans le fauteuil, essaie de marcher avec le kiné dans le couloir, faut pas que tu restes toujours couchée. Mange ». Des paroles sans doutes remplies simplement d’inquiétude. Mais je regardais discrètement la petite mamie et voyais qu’elle ne disait rien ou très peu. La première fois j’ai cru qu’elle était juste fatiguée. La seconde fois, j’ai plutôt ressenti de l’exaspération et c’est là que leurs paroles m’ont semblé lourdes, en voyant sa réaction à elle.
Et une fois ses enfants repartis, elle semblait plus sereine. Elle a commencé à me parler, elle m’a dit que je semblais seule, mais ce n’était pas de la solitude physique dont elle parlait, c’était celle impalpable qui est au fond de moi. J’étais entrée là le moral à 0, pas dans une période idéale pour que la kétamine arrive à m’aider. Perdue comme souvent au milieu de cette douleur sans nom. Et elle avait ressenti ça en me voyant naviguer dans notre chambre. Puis j’ai commencé à être mal à cause des perfusions, alors j’étais allongée sur mon lit. Je devais me reposer, j’étais un peu au bout du rouleau d’après les médecins tellement perspicaces…
Après le repas de midi, les infirmières la laissaient dans l’immense fauteuil qui était entre nos deux lits. Elle était tellement petite ma mamie qu’on ne la voyait presque pas, enfoncée dedans. L’unique moment serein auquel j’avais droit à ce moment là. Sa présence. Comme si elle veillait sur moi. Je m’allongeais au bord du lit pour être le plus près possible d’elle. Je crois qu’on se tenait compagnie chacune à notre façon.
C’est ce jour là, que je me suis réveillée tout à côté d’elle, roulée en boule, en position foetale comme je dors toujours. Elle parlait, j’écoutais tout en restant allongée. Puis elle m’a parlé de ses mains qui étaient devenues plus douloureuses avec la maladie. Elles les touchaient, en me disant qu’elle avait toujours cru avoir de l’énergie dedans et que ça pouvait soulager, mais que ses enfants, petits enfants, se moquaient d’elle quand elle le disait. De mon côté, je pensais au reiki qui m’avait tant apporté. J’y croyais et je ne sais pas ce qui me faisait le plus de bien. Savoir qu’elle avait des mains qui servaient de canal d’énergie et l’empathie qui allait avec ou la voir s’illuminer quand elle en parlait. Sûrement les deux. Et j’ai accepté qu’elle me tienne les mains. Le canal d’énergie était bien actif, j’étais tellement bien que j’ai fermé les yeux, la laissant me serrer les mains, jouant avec mes doigts, comme une grand-mère aurait pu le faire avec sa petite fille pour la calmer.
J’avais les larmes aux yeux, c’est le genre d’attention qui me touche profondément, parce qu’on me donne de l’énergie, du temps, de l’affection et c’est puissant en moi tout ça. Elle savait que j’avais Happy. Elle m’a dit « il ne faut pas l’abandonner, elle a besoin de vous ». Au-delà du mal-être et de la douleur qui apparemment étaient visibles, elle avait été au-delà et comprenait sans juger que parfois oui je voulais quitter la vie pour ne plus avoir jamais mal. Et ça m’a touchée doublement.
Une de ses filles est arrivée, interrompant ce lien privilégié qui s’était tissé entre nos 4 mains réunies. Elle lui a dit « tu fais de nouveau tes trucs avec tes mains » avec un air qui m’a fait retourner dans mon lit, retrouvant le froid de mes propres mains.
Elle ne savait pas encore que d’ici quelques mois, la maladie de sa maman serait irréversible, qu’elle se paralyserait au fur et à mesure pour ne plus pouvoir bouger un seul bout d’elle. J’étais dans la chambre quand les médecins étaient venus lui annoncer les résultats plus que mauvais des examens passés. Il se peut bien que je sois d’ailleurs la dernière à qui elle a pu transmettre son énergie, puisque sa famille n’y croyait pas…
Le lendemain, ils l’ont changée de service pour la mettre en médecine. Je la vois encore partir en fauteuil roulant, se retournant autant qu’elle pouvait pour me voir, en me disant « vous avez noté le n° de la chambre ? vous viendrez me voir ? » Je me suis retrouvée avec un lit tout blanc à côté de moi, comme si elle n’était jamais passée par là, sauf dans mon coeur et entre mes mains. J’ai attendu quelques jours, le temps de mieux supporter la kétamine qui peut se montrer abominable quand il fait chaud. Jamais oublié son sourire en voyant ma petite trombine dans l’encadrement de la porte quand j’ai été lui montrer que j’étais loin de l’avoir oubliée.
J’y pense beaucoup en ce moment à cette mamie, je ne sais pas pourquoi. Il faut dire que j’ai rencontré tant de monde durant ces 27 mois d’hospitalisation que tout est aussi décuplé dans ce genre de moments et de lieux et que le moindre petit truc peut me rappeler telle personne rencontrée à tel endroit. Ou alors c’est parce que j’aurais besoin qu’on me tienne les mains comme elle le faisait, pour m’insuffler un peu de vie, alors que finalement elle était en train de mourir et qu’elle est sans doute morte quelques mois après.
Je suis sûre par contre que sa famille donnerait cher pour qu’elle leur tienne encore la main, quitte à ne pas croire en son énergie parce qu’ils n’étaient pas réceptifs et qu’on voyait que ça la peinait. Ils n’ont pas compris que c’était sa richesse à elle, peut-être la dernière chose qui lui restait encore tant qu’elle pouvait bouger ses doigts…
Merci pour tout, ma mamie de la chambre 12… Je ne vous oublie pas où que vous soyez…
quel joli texte !
merci ❤ elle m'a marquée cette jolie petite mamie. Parfois je regrette de m'attacher trop vite parce que ça entraine de la souffrance souvent. Mais ça fait partie de ce que je suis aussi, je ne me vois pas devenir indifférente un jour, à ce genre de personnes qui croisent ma vie. Gs bisous
et tu as raison : je me souviens toujours d’une IRM passée à l’hôpital à 8h, on vient me chercher dans ma chambre, je descends au pôle imagerie et je vois des parents et leur petite fille de 18 ans, suspicion de tumeur au cerveau 😦 j’espère que cette petite fille a pu grandir, je ne l’oublierai jamais !
La pauvre 😦 C’est fou comme des personnes nous suivent au-delà des années, il suffit de peu de temps pour qu’ils marquent au fer blanc notre existence au point de ne pas oublier des années après ❤
Une histoire très touchante.
Merci Sophie 🙂
C’est une très belle histoire. C’est parfois dur de s’attacher si facilement mais tu as raison Delphine c’est ta façon d’être et je suis certaine aussi que c’est ce qui te fait entrer en relation avec d’aussi belles personnes que cette mamie. La famille ne voit parfois que la surface des choses. Je suis heureuse que dans ce moment douloureux pour vous deux vous ayez connu ces quelques instants de grâce. De là où elle est, elle te regarde et te protège. Prends soin de toi, de Happy et n’oublie jamais que ton coeur et toute l’énergie que tu déploies pour vivre est un magnifique exemple pour nous tous qui avons croisé ou celles et ceux qui un jour croiserons ta route.
Je t’embrasse tendrement.
Merci ma Marie ❤ oui c'est bien intégré en moi, j'aurais du mal à être autrement j'avoue, même si j'essaie de faire attention, mais le naturel revient bien trop vite au galop. J'avais toujours l'impression qu'elle manquait de volonté à leurs yeux, qu'elle ne faisait pas ce qu'ils attendaient et on voyait un tel épuisement chez elle que ça m'énervait au point d'avoir parfois envie de dire de lui foutre la paix. Qu'elle ne pouvait plus tout simplement.
Je suis en manque de cette énergie qui a pu m'animer à certains moments de ma vie, c'est vide et froid en moi. J'essaie de me recharger mais j'ai de plus en plus de mal, je ne sais pas si j'arriverai encore à ressentir tous ces moments forts qui m'ont faite exister finalement, parce que ça réveillait toutes sortes d'émotions en moi. Je suis nue de tout ça maintenant, faut dire que je m'isole, ça n'aide pas. Happy et moi on vous fait de gs bisous à toi et ptit escargot. J'espère que ça va pour le mieux… ❤