!!!! S’abstenir de lire au cas où le moral n’est pas solide, ce n’est pas gai comme article… La suite des vacances viendra derrière le plus rapidement possible… J’avais besoin de parler de lui, en cette date anniversaire…

Il s’appelait Pierre, avait 46 ans et était bipolaire. Je l’ai connu dans la 1ère clinique où j’ai été hospitalisée à Marseille. J’avais débarqué là, à 800kms de ma famille, je ne connaissais rien ni personne, c’était l’inconnu et avec d’autres patients, il avait été présent pour moi. J’avais 26 ans, il aurait pu être mon père. On était un groupe soudé souvent ensemble, on passait les soirées longues, tous réunis dans la salle fumeurs, même moi qui étais sans doute la seule à ne pas fumer dans le service, j’y mettais mon nez, juste pour être avec eux tous. Beaucoup de souffrance et des rires malgré tout, pour essayer d’être plus forts que la maladie toujours. Le 1er endroit où j’ai été entendue et comprise par le corps médical et les patients.
Il avait dit à une patiente en me voyant au loin, du haut de mes 37 kgs, que j’étais adorable, pleine de douceur, que je semblais fragile et qu’on avait envie de me protéger. Quand j’ai su çà, je me suis dit qu’il donnait l’impression de la même chose. Alors on s’est soutenus et protégés mutuellement, avec nos fragilités respectives. Il me voyait dehors, toujours avec mon livre sous le bras, il venait, s’installait, parlait peu et IRL, si on n’engage pas la conversation, je ne suis pas bavarde, j’ai besoin d’un coup de pouce pour m’y mettre. J’avais toujours peur qu’il s’ennuie du coup, à mes côtés, il était parfois dans son autre monde et quand je m’en apercevais, j’essayais de surmonter ma peur de ne pas être intéressante et je lui parlais de son fils. Il était un peu plus jeune que moi et à chaque fois qu’il l’évoquait, ses yeux se remplissaient de vie à nouveau, il en bégayait comme c’était le cas quand il était ému de quelque chose. Il en était fier de son fils et on aurait dit que lui seul pouvait encore le tirer de ses démons. Souvent on restait silencieux, à regarder la vie de la clinique, tourner autour de nous, les cigales chantaient, finalement, il ne semblait pas avoir besoin de davantage… moi non plus…
Je suis sortie de la clinique parce que je voulais recommencer à travailler, le psy était contre, mais il m’avait dit que si j’avais un problème, il ne fallait pas que j’hésite à le recontacter, alors je suis partie rassurée malgré tout. Le jour de mon départ, il y avait une patiente, Pierre que je n’arrivais plus à lâcher et Julien l’ergothérapeute qui m’a tant aidée là-bas. Le taxi m’a emmenée à la gare pour rejoindre ma famille et j’ai vu leurs 3 mains s’agiter au loin. Deux mois passés en kiné et balnéo avec eux, en ergo, dans les salles communes, dehors. On avait vécu tant de choses ensemble. Les pleurs, les coups pour moi, la restriction alimentaire, l’état psychotique de Pierre qui le conduisait dans des gros bas et des hauts maniaques. J’ai tenu un mois, un jour, je me suis enfermée dans les toilettes et j’ai frappé, frappé encore et encore. Mes veines de mes poignets qui n’avaient pas eu le temps de cicatriser ont projeté du sang sur les murs. Quand je suis « revenue » à mon état « normal », j’étais entourée de sang. J’ai nettoyé la moindre goutte, en pleurs, ne sachant plus quoi faire de moi. J’ai appelé le psy, et 1 semaine après, je refaisais 800kms, pour repartir hospitalisée dans cette clinique (sans certaines personnes à l’intérieur, je ne sais pas où j’en serais j’avoue…) Le destin ne m’a pas envoyée pour rien à Marseille en tout cas…
Durant ce mois, les patientes avec lesquelles j’étais restée en contact et Pierre m’appelaient. Un jour il m’a dit « depuis que le noyau est parti, ce n’est plus pareil ». Je n’ai pas compris pourquoi il disait çà, il n’y avait que moi qui étais sortie durant le mois… mais pour lui, c’était moi en fait le noyau du groupe qu’il s’était constitué pour essayer de se maintenir à la surface, dans sa maladie et au sein de cet établissement qui recevait toutes nos âmes cassées voire davantage… Je suis restée plusieurs moi à me battre contre l’anorexie, la dépression et mon trouble. Mon état physique s’est dégradé au début de l’été, il fallait que je sois hospitalisée dans un milieu médicalisé et psy, à la fois. J’ai été transférée dans un centre en Alsace. En milieu fermé, avec un contrat poids. Je n’avais pas droit aux visites tant que je ne prenais pas de poids et ne sortais dans le parc que quelques instants, accompagnée d’un soignant, puis la porte se refermait derrière moi. Je n’avais pas droit à mon portable, un peu menti sur ce coup là, ma mère a acceptée de dire qu’elle me l’avait repris… les sms défilaient, Pierre toujours présent malgré la distance, malgré l’état dans lequel je l’avais laissé 😦
Il ne parlait plus, se renfermait, ne souriait plus, il continuait ses tours de cartes et la contrée, le soir, mais allait se coucher de plus en plus tôt. Le lithium ne faisait pas l’effet escompté et on lui avait changé son traitement, j’avais l’impression de le voir décliner de jour en jour. Je pensais qu’il n’avait pas envie de parler tout simplement, alors je le laissais tranquille. Il continuait à venir s’asseoir à côté de moi, dans un grand silence, le regard vide. Il me souriait si faiblement qu’on avait l’impression que çà lui coutait un bras de le faire, ce qui devait être le cas réellement, mais c’était mon ami, c’était mon Pierre et son changement de comportement ne m’a jamais fait perdre de vue qui il était. C’était sa maladie qui le rongeait, qui le rendait fantôme. Je me sentais impuissante, mais sais que j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, même s’il m’arrive souvent de me demander si j’ai tout fait pour lui vraiment. Si je ne suis pas passée à côté de quelque chose et que ce ptit truc aurait changé la donne peut-être. Mais sa psychose était aussi forte que notre amitié. Elle l’a détruit, pendant que notre amitié, elle, se renforçait de mois en mois.
Le 1er que j’ai prévenu que j’étais sortie d’isolement, c’est lui. Je me suis empressée de lui envoyer un sms, en lui disant que j’avais pris assez de poids, pour qu’on m’autorise les visites et les sorties seule dans le parc. Il ne fallait pas que je me dépense trop, alors je marchais un peu et m’asseyais, avec un livre. J’étais libre, pendant que lui, sa maladie finissait de lui faire perdre justement cette liberté. Il avait le cerveau plein de sa bipolarité. Ses mots m’accompagnaient, il était fier de moi, çà me donnait le courage de continuer toujours.
Puis à partir de fin août, plus rien… J’ai cru qu’il m’avait abandonné, qu’il était sorti de la clinique et continué sa vie et qu’il m’avait oubliée… J’ai continué à me battre, j’étais aussi dans les démarches pour partir vivre à Marseille, une décision mûrement réfléchie durant des mois. En octobre 2005, j’ai emménagé ici, toujours pas de nouvelles de Pierre, alors que je lui annonçais que çà y’est, j’étais là et que j’espérais qu’on pourrait se voir. Rien… En février, j’ai dû être réhospitalisée. J’ai revu des patient(e)s avec lesquel(le)s, j’avais déjà été hospitalisée. Mon réflexe a été de demander après Pierre. La personne a levé la tête en montrant le ciel, on ne m’avait pas prévenue dans l’espoir que je ne le sache jamais. On avait préféré soi disant me protéger, mais me laisser croire qu’il m’avait laisser tomber, alors qu’il était mort. Mon Pierre était mort 😦 Il s’était tiré une balle le 27 août et je l’apprenais 6 mois après…
Pas un jour ne passe sans que j’aie une pensée pour lui. Cà fait 9 ans et pourtant, il m’accompagne toujours. Beaucoup sont morts entretemps, des mêmes sortes de saloperies. Je n’ai jamais oublié qu’il m’a traitée comme si j’avais été sa fille. Qu’il a pris soin de moi pendant que j’étais loin de ma famille. Lors de ma 1ère ts, au moment où j’ai senti que je basculais, que mon coeur commençait à se fatiguer et que j’étais comme dans du coton, il était là, avec un grand sourire, j’ai aperçu tous mes disparus derrière lui, je me suis sentie sereine, heureuse. Puis tout est devenu plus obscur et j’ai senti que je revenais, que mon coeur repartait un peu, suffisamment pour me maintenir ici… Je donnerais beaucoup pour avoir l’occasion d’être juste assise à côté de lui, dans le silence, mais là… Il me manque, sa présence physique me manque…
Il se passe des choses bizarres quand la vie commence à se mélanger à la mort… J’ai espoir qu’il soit enfin serein et qu’il ait trouvé la paix. Quand je rentre moi-même dans le silence, je pense à lui et comprends mieux ce qu’il signifie… A notre amitié d’âmes cassées mon Pierre…
Profitez des personnes qui vous sont chères avant qu’il ne soit trop tard. Il y a des moments qu’on penserait anodins qui deviennent essentiels une fois la personne disparue…
Je ne vais pas te le cacher, c’était dur à lire, purée que c’était dur. Mais si beau aussi. Car par de là vos douleurs, votre souffrance commune, il y avait un vrai partage entre vous, une vraie générosité.
Je n’ose imaginer ce que tu as pu ressentir quand on t’a appris le décès de Pierre, d’une façon aussi tragique. Mais je me dis souvent comment font ceux qui continuent à vivre, en souffrance autant.
Je pense que Pierre doit être en paix où il est et que même absent il te protège et te regarde avancer sur ce chemin difficile que tu as choisi de poursuivre, malgré tout.
Je pense à toi ma belle, bien fort et te remercie pour tout, tes mots, ta présence, ton soutien.
Grosss bises Ptite Delph (qui a tout d’une grande)
j’ai beaucoup hésité à l’écrire, mais j’en avais besoin du coup je me suis dit que j’allais prévenir que ce ne serait pas gai. Compromis un peu bizarre. Tu as bien résumé ce qu’était notre amitié oui. Quand on m’a appris son décès, qu’elle a levé la tête, j’étais dans le couloir, j’ai cru que j’allais tomber raide, pour le coup, ils ont été obligés de me suivre un moment pour m’aider à surmonter ce décès. Je vais être aussi raide que mon article pour le coup… mais plus j’avance, plus je comprends ce qui a pu se passer dans sa tête, avec la souffrance qu’il avait, celle que j’ai moi-même à mon niveau et je me dis que justement, on n’arrive plus à vivre avec autant de souffrance, à un moment donné. C’est pour çà que je ne supporte pas qu’on dise « c’est lâche ou égoïste », parce que je l’ai vu souffrir le martyr et j’aime autant, quelque part, qu’il soit libéré de çà.. Il est toujours avec moi, je regarde souvent les nuages en me disant que lui et les autres sont là, pour veiller, pour prendre soin de moi comme ils le faisaient quand ils étaient en vie. Je les comprends et finalement, parfois, c’est pas ma plus grosse souffrance, parce que çà veut dire beaucoup 😦 … merci à toi d’être là ma belle, c’est important cette vie que tu apportes dans ma ptite tête et mon coeur ❤ Gs bisous à toi et Boubou